(traduit par Hermine Ortega) – Janvier 2018
Échange collaboratif Territ-Aur(i)al
Palomino / Territoire Arawak à La Guajira, Colombie.
Cet article fait partie de Perspectives: une série de réflexions en ligne de la communauté des arts médiatiques au Canada, créée avec le soutien du Conseil des arts du Canada.
En 2016-2017, l’AAMI a organisé une série de rencontres sur deux jours pour le secteur canadien des arts médiatiques, portant respectivement sur l’art sonore, le film analogique et la stratégie numérique. Chaque rencontre a eu lieu dans une ville différente au Canada, ce qui a servit à échanger des points de vue et renforcer les liens au sein de ces collectivités de grande envergure, tout en offrant un espace important pour des discussions ciblées sur les enjeux pressants auxquels chaque secteur est confronté. Avec l’idée de poursuivre les discussions dans un format public, l’AAMI a commandé des réflexions écrites à plusieurs auteurs sur un sujet de leur choix en rapport avec les discussions tenues.
Cette réflexion de Janet Rogers s’inscrit dans la foulée du Colloque d’art sonore qui s’est déroulé du 10 au 11 novembre à Toronto, en Ontario, ainsi que pendant le séjour d’une résidence d’artiste au centre d’art expérimental d’Alejandro Valbuena à Palomino, en Colombie.
Crédit Photo : Alejandro Valbuena, Parc national de Tyrona, Colombie
Nous avons des champions des pratiques d’art sonore. Ceux qui vont au-delà de la répétition du discours et de la validation de la pratique pour offrir aux artistes des occasions de concevoir, développer et partager. Les équipes du festival de films et d’arts médiatiques imagineNATIVE et du centre d’art expérimental d’Alejandro Valbuena à Palomino (Colombie) ont offert ce genre d’occasion lors d’un échange d’artistes en mai et juin 2017. Deux artistes du Canada occupé, un artiste du Mexique, un artiste du Chili et notre hôte, Alejandro, se sont réunis pendant trois semaines dans la chaleur intense et la beauté exotique de l’Amérique du Sud pour une collaboration de pratiques sonores.
Durant les dix minutes de marche de notre résidence d’artistes vers la petite ville de Palomino, la promenade paisible devient chaotique dès qu’on arrive sur l’artère principale. Des tavernes locales se livrent une concurrence féroce avec une musique bruyante sortant de haut-parleurs pourris. Les chiens aboient constamment, les poids lourds passent à toute vitesse en soulevant dangereusement la poussière et en élevant le niveau sonore. Ce n’est pas de la pollution sonore, c’est de la culture. Le son fait partie de ce qui définit la culture. Nous produisons de l’art sonore avec ce qui est à notre disposition, tant dans notre environnement qu’avec les technologies existantes. Et les deux facettes nous reflètent, nos valeurs, nos identités, à travers notre langage interprétatif avec le son. Il va donc sans dire qu’en territoire étranger, on entend des sons étrangers aussi. Des sons qui vous arrêtent sur vos rails, vous forçant à faire appel à chaque fichier mémoire pour le placer. En passant devant un petit pré près du chemin de terre, j’ai entendu un chœur de claquements, comme des centaines de bouteilles de champagne qu’on ouvrirait successivement. On me dit qu’il s’agit de grenouilles, enfouies dans la terre fraîche du champ couvert de broussailles, hors de vue et pourtant si volubiles.
Et bien que nous soyons encouragés à discuter et débattre du travail que nous faisons avec du ou des sons, je respecte l’art et les artefacts qui gardent leurs secrets. Par exemple, les pétroglyphes et les pictogrammes de diverses régions du monde ont vu leurs significations, leurs objectifs et leurs messages passés à la moulinette de l’anthropologie. Il est désolant que l’art dissèque l’art, nous laissant face aux carcasses sans vie. Pour être clair, notre collaboration et cet article n’ont pas l’intention de tuer le médium sans mots avec des mots, mais d’inspirer exploration et curiosité.
Le lieu de résidence est l’endroit où j’écris cet article pendant la dernière de nos trois semaines de résidence. Le territoire est plein de sons et de couleurs. Ici, pas de studios isolés. Pas de murs pour contenir le son – il est sans limite, partout – des minuscules oiseaux verts-jaunes qui pépient et gazouillent sans cesse, aux grenouilles qui chantent des chansons fières et volatiles, en passant par les motos qui passent constamment devant notre résidence, de l’aube à la nuit tombée. Et ce ne sont que les bandes sonores environnantes. On nous a amenés dans de nombreuses communautés, parcs nationaux, réserves colombiennes et sentiers de randonnée. Notre enregistreuse en main, nous nous aventurons à récolter respectueusement les voix pleines et variées de ces territoires. Et quel régal.
Alejandro, de descendance Arawak, parle du son avec émotion. Il décrit une relation viscérale, et sa capacité à évoquer des souvenirs d’enfance où certains sons le transportent immédiatement. Lorsqu’il entend le fracas des vagues de l’océan, constant sur son territoire, les souvenirs de lui enfant se promenant sur la plage avec son grand-père inondent son esprit. Le son peuple son esprit, dit-il. Et cette émotion n’est jamais plus fortement portée que par la voix. « La voix, dit Alejandro, est puissante, et transmet la condition humaine avec efficacité, comme nul autre son ne peut le faire. C’est un coup de feu au cœur, on ne peut pas bouger. La voix est le charmeur de serpent. C’est du grand art. La voix humaine est si puissante. »
Casey Koyczan, musicien Cri/Dene de Yellowknife et artiste sonore participant à Territ-Aur(i)al Imprints, travaille dans le domaine de l’assemblage audio avec des installations audio et des œuvres en 2-D. Il travaille avec le son pour mettre en valeur son travail visuel et aider à le diffuser. Pour lui, c’est une communication précoce. Avant le langage, c’est par ce moyen que les gens étaient capables de communiquer, de pleurer, de crier ou de soupirer. Ces sons déclenchent des émotions. Dans les expositions, Casey considère le son comme un moyen de communiquer l’émotion. Pour son travail de fin de troisième cycle, Mode of Ascension, Casey avait suspendu au milieu de la galerie une bûche creusée avec des haut-parleurs à l’intérieur. Sans trop me dire quels sons émanaient précisément de la bûche, il rapporte que les réactions des spectateurs allaient de l’euphorie aux larmes. Casey connaît les effets des ondes sonores sur notre ADN et croit en la thérapie sonore comme moyen de réassembler les molécules en nous.
Personnellement, ma relation au son est semblable à celle que j’ai avec la radio. Nous sommes à la fois émetteur et récepteur. Nous sommes à l’écoute des sons qui nous informent, nous divertissent et nous reflètent. J’ai trouvé de nouvelles façons de travailler avec les nouveaux sons que j’ai découverts en Colombie. J’ai appris que les voix humaines sont parallèles aux voix de la nature et que leur mélange crée des conversations intéressantes, produisant de nouveaux langages, sans mots tels que nous les connaissons. Un mot parlé ? Non. Un son parlé.
Janet Marie Rogers est une écrivaine Mohawk/Tuscarora des Six Nations. Elle est née à Vancouver (Colombie-Britannique), a vécu à Stoney Creek, Hamilton et Toronto (Ontario) et vit comme invitée sur les terres traditionnelles des Salishes de la côte (Victoria, Colombie-Britannique) depuis 1994. Janet fait de la poésie, du spoken word, de la poésie vidéo et de la poésie enregistrée avec de la musique. Janet est également animatrice de radio, productrice de documentaires, artiste médiatique et sonore.
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